Le champignon de la fin du monde

Sur les possibilités de vivre dans les ruines du design.

En ces temps d’effondrement écologique et de capitalisme tout-puissant, j’illustre l’histoire étonnante d’une espèce organique appartenant au règne Fungi. À travers appropriation littéraire et interprétation graphique, le champignon de la fin de monde, prend une tout autre dimension.
Identifié dans la forêt japonaise pour la première fois au VIIIème siècle le matsutake - champignon du pin - est depuis longtemps un aliment prisé par son goût dans les cuisines et les plats traditionnels nippons.
L’ethnographe Anna Lowenhaupt Tsing, nous donne à voir que le matsutake est bien plus qu’un simple mets, son destin est à lui seul une métaphore tragique de notre monde.

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Serrait-ce l’allégorie
d’un monde abîmé où tous les êtres vivants, humains
ou non, devraient apprendre à s’entraider pour survivre ?


La survivance de
ce champignon dépend
des hommes mais il reste indomptable par celui-ci.
Comme le matsutake,
le design peut-il échapper
à la scalabilité ?


Le design peut-il créer
une sorte de cohabitation interespèces, à l’image
de la relation de coopération entre les pins rouges et
les matsutakes ?

À l'instar des ceuilleurs
de l'Oregon, le designer devrait-il consacrer l’entièreté de son activité
à la réintroduction
du vivant dans nos imaginaires, nos espaces
et nos modes de vie ?
Amplifier sa présence permettrait de recréer
des alliances sensibles entre humains et non-humains.


Le design doit-il alors refuser de montrer l’homme comme moteur d’avancé sociale ? Faudrait-il inventer un design marginal ayant pour seul client la nature ?


C'est alors en racontant des
vies, des histoires, des paysages
que le design donne à voir
une nouvelle manière de faire cohabiter paisiblement les hommes et la nature.
Ces derniers s’entremêlent,
se superposent, se répandent
pour mieux se comprendre, s'estimer et demeurer, à l'image
des racines des arbres d'une
forêt de l'Oregon.

Tout commence au Japon, dans les forêts denses où
les hommes défrichaient
les arbres pour construire
des temples et se chauffer.

En 1945, une bombe nucléaire dévasta Hiroshima, de nombreuses villes et habitations furent abandonnées.

Territoires délabrés et forêts déboisées, c'est sur ces vestiges que l'on croyait désertés de toute forme de vie, qu'allait pourtant se produire un miracle...

Par-dessus ces lieux anéantis
ont subsisté des pins rouges,
et avec eux, a poussé un champignon sauvage.

La particularité de ce champignon est qu'il ne naît qu’en compagnie d'un arbre. C'est de l'enchevêtrement de leurs racines que ces deux êtres vivants survivent ensemble.

Au fil du temps, les hommes qui habitaient ses friches, découvrirent le fuel et laissèrent tomber le bois. Ils partirent vivre en ville abandonant leurs activités rurales
et laissant les grands arbres feuillus reprendre leurs droits de règne forestier.

Les pins rouges qui ne peuvent trouver place dans les forêts épaisses n’ont pas survécu,
par conséquent, cet or blanc fongique vénéré au Japon,
a également disparu.

Tous ceux qui ont tenté de domestiquer le matsutake, de le cultiver en plantation ou même en laboratoire ont échoué.

Dès lors que ce trésor pensait être perdu à jamais, le coeur des sous-bois de l'Oregon recelaient, en réalité,
une nouvelle apparition du matsutake.

Au sein d'abris faits
de bois, de bâches en plastiques et de ficelles, coexistent des histoires énchevêtrées de cueilleurs...

Vétérans de la guerre du Vietnam fuyant leurs cauchemars, traditionalistes tournant le dos
à la vie urbaine, réfugiés laotiens
et cambodgiens essayant de se soustraire à une société qui les paniques ou bien Indiens ayant la sensation d'être reliés à la vie de leurs ancêtres.

Toutes ces raisons incient
les ceuilleurs de l'Oregon à réinventer dans ces friches
de nouveaux modes de vie marginaux.
À l'image des matsutakes qui poussent au sein des terres dévastées, ces cueilleurs s'affranchissent des normes
et des attentes de la vie capitaliste et conformiste.

Alors même que la liberté
a une signification très différente pour chacun d’entre eux, c’est sous l’ombre de ces majestueux pins qu'ils se sentent libres au point de ne pas considérer la récolte de champignon comme un travail mais comme une passion.

Même si ces cueilleurs pensent être sortis du capitalisme, c'est de ces mushrooms camps que s’émane le commerce mondial et florissant de ce champignon. Leurs récoltes vendues à des grossistes voyagent jusqu'aux entrepôts de Vancouver, avant
de rejoindre sa terre natale,
le Japon.

C'est une nouvelle culture qui subsiste au sein des ruines humaines, bien au-delà d'une simple récolte, le matsutake survie grâce une transmission intergénérationnelle entre toutes ces personnes venues d'ailleurs et reliées ensemble par cette même racine.

paysage long